mercredi 24 juillet 2019

"Assis sur un banc à l'arrêt de car..." 77. Marin Fouqué

77 / Marin Fouqué


Vernou-la-Celle sur Seine, dans le sud Seine-et-Marne (prononcez sept-sept). On y est bien loin de Paris mais pas non plus vraiment en province. Des champs, verts, et la terre grasse, marron. 


Quand il décide de s'allumer un joint, tout défile devant ses yeux. Le père Mandrin, un paysan qui craint l'arrivée de la banlieue, un gueulard sans cesse juché sur son John Deere. Enzo le traître, un ancien pote de glande et la fille Novembre, une fille dure, habituée aux coups du Père Novembre. La jeunesse marquée par la violence, l'ennui, les jeux à la con dans les champs et la fête foraine une fois par an, la cité de Champagne-sur-Seine quand on cherche vraiment la merde.

Le personnage, qu'on ne nomme pas, a eu une jeunesse difficile, un père qui l'élève comme il peut, les railleries de ses camarades. C'est un jeune qui a découvert le shit avec le grand Kevin, débarqué du 9-3. Il se cherche des modèles, profondément déboussolé. 

Alors cette fois, il ne prendra pas le car, va fouiller dans les poches de son survet' et prendre le pocheton de marocain acheté chez le Samouraï, un type qui vit dans les bois. Le cul vissé sur son bloc de béton, la capuche sur la tête, il va laisser glisser la journée. Demain est un autre jour.

Dans une langue que l'on sent influencée par le slam et la scène, Marin Fouqué dépeint la jeunesse de la France péri-urbaine. On a Fief de David Lopez en mémoire, mais avec un ton nettement différent, comme une alerte sur une jeunesse à laquelle il a manqué une transmission des aînés et qui se construit comme elle peut. Le ton, parfois drôle dans Fief, est ici plus tragique, met parfois mal à l'aise. 

Il manque peu de choses pour faire de 77 un très bon roman, mais on est resté un peu sur notre faim, sans trop savoir pourquoi. Peut-être cette volonté de mêler poésie / slam à un récit qui a vraiment de la gueule, mais dont le message est parfois brouillé.

77 reste un bon roman de cette rentrée littéraire, et ça fait du bien de voir un roman français qui ne parle pas des turpitudes d'une jeunesse parisienne sniffant de la coke achetée grâce aux virements bancaires mensuels de papa et maman. 

77 / Marin Fouqué. - Actes Sud, 2019. 218 p.


mercredi 3 juillet 2019

Nuits Appalaches. Chris Offutt

Nuits Appalaches / Chris Offutt

1954, Kentucky. Tucker, jeune vétéran de la guerre de Corée, rentre à pied chez lui. Pressé de tourner la page, de retrouver ses terres, il garde cependant les réflexes qui l'ont aidé à survivre. Sur la route, il surprend un homme essayant de violer une jeune femme. Cette jeune femme, c'est Rhonda, quinze ans, Tucker en a à peine dix-huit. Tous deux vont s'éprendre l'un de l'autre. Le roman nous emmène quelques années plus loin, dans l'intimité d'une famille nombreuse. Rhonda a donné naissance à quatre enfants, tous atteint d'un handicap, sauf la jeune Jo. Jo est alerte, pleine de vie et aide sa mère à tenir le foyer. Tucker travaille comme un forçat pour nourrir sa famille, la semaine il conduit des camions d'alcool illégal. 


Vivant à l'écart, la famille de Tucker reçoit un jour la visite des services sociaux. Une femme compréhensive accompagnée d'un homme qui l'est beaucoup moins. Très vite, l'homme déclare que les enfants doivent être placés. Lorsque Tucker l'apprend, il prend son pick-up et le tue, sur le parking d'un restaurant. Son véhicule a néanmoins été repéré. Manque de chance, c'est celui avec lequel il effectue les livraisons d'alcool. Son patron le convoque et lui propose un marché risqué, quelques mois de prison pour une tranquillité assurée à sa sortie.



Chris Offutt, sorti des radars quelques temps, nous offre un roman âpre, typiquement américain dans l'écriture, avec un côté très nature writing, ce qui explique la publication en France par l'éditeur Gallmeister. On note des similitudes entre Tucker et le John Rambo du premier volet d'une série de films qui n'en finit plus (Le premier volet est loin d'être un film d'action gratuit mais traite magistralement du retour au pays des vétérans du Vietnam). Tucker est violent mais droit, époux et père de famille exemplaire, il incarne l'Amérique des petites gens, une Amérique rurale, celle qui ne compte sur personne et fume des cartouches de Lucky Strike.


Un ouvrage à retenir, puissant et magistral, où l'on notera quelques similitudes avec les romans de Ron Rash, voisin de Chris Offutt, que l'on vous invite à découvrir aussi.



Nuits Appalaches / Chris Offutt. - Gallmeister, 2019. Traduction d'Anatole Pons. 224 p.