lundi 8 juin 2020

Hommages à Kraftwerk

Le 21 avril dernier disparaissait le musicien allemand Florian Schneider, l'un des deux membres fondateurs de Kraftwerk. De nombreux hommages à ces pionniers de la musique électronique sont apparus de ci de là, notamment de la part du magazine Tsugi, du blog du site Discogs ou encore sur le site des bibliothécaires musicaux de Gironde. Si tous ces hommages nous montrent l'influence qu'a pu avoir Kraftwerk sur les musiques électroniques, Ouais ? va vous montrer que le groupe a marqué bien au-delà des sphères électroniques, à travers une playlist regroupant des reprises de Kraftwerk, ainsi qu'une poignée de samples sélectionnées parmi les nombreux artistes ayant échantillonné la musique de la fameuse centrale électrique allemande.


Commençons par un groupe injustement oublié de tous ces hommages malgré son statut de formation culte : Big Black, groupe phare du noise rock américain (même si les millennials préfèrent l'appellation plus branchée de post-punk). Big Black, donc, qui proposait en 1987 sa version bruitiste de The Model sur son dernier album, Songs about fucking sorti sur le non moins cultissime label Touch And Go. Pour rappel, Big Black est l'un des premiers groupes formés par Steve Albini, ingénieur du son aux manettes des disques au son sec et tranchant de Nirvana, PJ Harvey, Pixies, Jesus Lizard, Neurosis, Palace et des milliers d'autres. Comme nous le verrons plus loin, The Model est certainement le morceau le plus repris de Kraftwerk, la première reprise étant l'œuvre de Snakefinger, projet new wave britannique qui proposait sa version en 1979 sur son premier album, Chewing Hides The Sound

Si il y a bien un style qui doit beaucoup à Kraftwerk, c'est la new wave. La chanson Neon Lights sera ainsi reprise par plusieurs groupes assimilés à la new wave des années 80, notamment Orchestral Manoeuvres In The Dark (OMD pour les intimes, Enola Gay pour le tube) en 1991, Simple Minds en 2001 ou les irlandais de U2 en 2004. Deux autres artistes associés à la fois au punk de la fin des années 70 et à la new wave des années 80 reprendront tardivement des chansons de Kraftwerk : Siouxsie And The Banshees en 1987 avec Hall Of Mirrors sur leur album de reprises et Spizzenergi avec The Model en 2000. The Model qui sera également magistralement reprise en 1982 par le groupe punk anglais The Members dans une étonnante version reggae.

Le reggae n'a pas échappé à l'influence de Kraftwerk, notamment en Europe avec le britannique Prince Fatty. Le producteur de la magnifique Hollie Cook, par ailleurs grand amateur de mélanges en tout genre (faire chanter les chansons de Nirvana par un vétéran jamaïcain ou s'incruster dans la BO de la série Breaking Bad avec une version reggae du monumental Shimmy Shimmy Ya de Ol' Dirty Bastard par exemple) sort cette année un 45 tours comprenant deux version de The Model : une version interprétée par la chanteuse Shniece McMenamin en duo avec Horseman (à ne pas confondre avec Horsemouth, le héros du film Rockers) suivi de sa version dub instrumentale. Autre adepte des mélanges reggae/dub et autres, l'anglo-italien Gaudi proposait en 2007 un album de remixes dub des morceaux de la légende du qawwalî pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, le bien nommé Dub Qawwali sur lequel on retrouvait un sample de The Model sur le titre Jab Teri Dhun Main Raha Karte They.

The Model est décidément l'un des titres les plus repris de Kraftwerk puisqu'on en retrouve également des reprises par le brésilien Seu Jorge avec le groupe Almaz en 2010, ainsi que par de nombreux groupes surf et garage rock : les danois The Tremolo Beer Gut, le one-man band sauvage français King Automatic ou les anglais Death Valley Surfers. Dans le même esprit néo-vintage, mais aux rythmes différents, Kraftwerk a été adapté en ska par les allemands de Yellow Umbrella (Das Model toujours) et les français Jah On Slide (Radioactivity).

Radioactivity semble être un morceau apprécié des français puisque outre Jah On Slide, il a également été repris par Mario Cavallero et son orchestre (qui enregistrait également des reprises cheap d'Ennio Morricone que l'on retrouve sur tous les stands de brocante de France et de Navarre), par Jean-Pierre Mader (oui oui, celui qui chantait le tube des années 80 Macumba), par Kat Onoma, le groupe de rock poétique fondé par Rodolphe Burger, ainsi que par Treponem Pal, fondateur du metal industriel made in France.

Le metal n'est pas en reste concernant l'influence de Kraftwerk, on remarquera ainsi une reprise de Das Model par le groupe de metal indus allemand provoc Rammstein ainsi que par l'obscur groupe de black metal anglais Absinthropy.

Plus raffiné, le groupe nord-irlandais à cordes de Neil Hannon, Divine Comedy a repris deux chansons de Kraftwerk : The Model et Radioactivity, deux morceaux assez rares puisqu'extraits de faces B de singles. Parmi les autres groupes pop indés des années 90 à avoir repris Kraftwerk, on trouve les fabuleux suédois The Cardigans (un groupe qu'il serait dommage de ne réduire qu'à son tube Lovefool extrait de la BO du film Roméo + Juliette de Baz Luhrmann). Le groupe de la chanteuse Nina Persson avait inclus sa reprise en allemand de Das Model sur un single de 2003. Le groupe culte du rock indé dit shoegaze Ride avait également repris The Model pour une compilation concoctée par le magazine anglais New Musical Express en 1992, tandis que leurs compatriotes rigolos de Terrorvision proposaient leur version sur la face B de leur unique tube Oblivion. Encore plus rare, on retrouve une reprise de The Model par la chanteuse star des 90's Ophélie Winter, en duo avec The Hellboys, groupe rock du défunt journaliste de Rock & Folk Nicola Acin, un groupe que l'on retrouvait toujours incrusté en première partie des concerts parisiens de Rancid au grand dam des fans du groupe punk à crêtes californien.

Si le grand public est loin de se douter de l'influence de Kraftwerk sur le hip hop, c'est peut-être dû au fait que le rap a tendance à oublier son histoire. Pourtant, parmi les précurseurs du rap dans les 80, Afrika Bambaataa inventait tout un courant du hip hop à lui tout seul en mélangeant la froideur électronique de Kraftwerk aux rythmes syncopés du funk : l'electro, un terme aujourd'hui galvaudé qui remplace de façon sommaire le terme techno pour désigner toutes formes de musiques électroniques. Afrika Bambaataa donc qui sur son fabuleux Planet Rock samplait deux titres de Kraftwerk : Trans Europe Express et Numbers. Trans Europe Express semble être d'ailleurs un morceau ayant fortement touché la communauté afro-américaine, puisqu'on en retrouve également une reprise en 1982 par Trouble Funk, groupe de funk tendance go-go originaire de Washington D.C. Plus récemment, quoique, le groupe de rap français de Vitry-sur-Seine 113, sous l'impulsion de son DJ Mehdi, samplait également Trans Europe Express sur le titre Ouais gros qui ouvrait son premier album Les Princes de la Ville en 1999. Kraftwerk a d'ailleurs été pas mal samplé, et pas que dans le hip hop. On vous épargnera ainsi Coldplay, les stars du rock quoi, qui reprenaient la mélodie de Computer Love sur leur tube Talk en mode ni vu ni connu, mais on ne fera pas l'impasse sur le musicien anglais qui trustait les BO des blockbusters ciné et jeux vidéo de la fin des 90's et du début des 2000's : Fatboy Slim qui reprenait en 2007 Radioactivity sur le 19ème volume de l'excellente collection de compilations LateNightTales où chaque volume était compilé avec soin par les stars du moment.

Le jazz s'est aussi accaparé des chansons de Kraftwerk, citons notamment le groupe suédois Oddjob, qui en plus d'avoir un nom hérité du film Goldfinger et enregistré un bon disque hommage aux musiques des films de Clint Eastwood, a repris Man Machine en 2003 sur son deuxième album, Koyo. Autre groupe jazz friand de reprises, le trio américain The Bad Plus s'est complètement approprié la chanson The Robots en 2016 sur son album It's hard. The Bad Plus s'était précédemment fait remarquer à travers ses versions jazz de titres de Nirvana, Radiohead, Black Sabbath ou Igor Stravinsky entre autres. The Robots a été également repris par un autre combo jazzy (même si les puristes ne le reconnaissant pas en tant que tel) : le trio italien Zu qui pratique une musique à la frontière du free jazz et du noise rock, avec une formation batterie/basse saturée/saxophone. En 2001, Zu s'associait au guitariste avant-gardiste américain Eugene Chadbourne (un proche de John Zorn pour situer) pour un album, Motorhellington, qui les voyait reprendre aussi bien Black Sabbath, Kraftwerk, Motörhead, James Brown et The Seeds que Charles Mingus ou Antonio Carlos Jobim. Les puristes n'en reviennent toujours pas. Autre formation expérimentale à avoir repris du Kraftwerk, les japonais.e.s déjanté.e.s de Melt-Banana reprenaient en 1 minute et 31 secondes Showroom Dummies sur un disque hommage nippon à Kraftwerk sorti en 1998.

Contemporain de Kraftwerk, les allemands de Tangerine Dream font partie de ces artistes prog des années 70 à avoir un peu trop touché le ciel en fumant du patchouli puisqu'ils sont à la base du courant new age cher à Era, Enya, Enigma et autres formations commençant par la lettre E et finissant en A. Si on parle ici de Tangerine Dream, ce n'est pas par nostalgie d'une vieille série des années 80 à véhicule futuriste, mais parce qu'avec l'âge, des souvenirs de leurs jeunes années en RFA resurgissent, reprenant ainsi en 2012 The Model de Kraftwerk, dans une version, reconnaissons-le, assez ennuyeuse (pour être polis). On reste en Europe avec le groupe germano-ukrainien Rotfront qui reprend The Robots en version klezmer ainsi que de jolies trouvailles sur Youtube concernant The Model : une version polka par le groupe allemand Polkaholix extrait d'un album joliment intitulé The Great Polka Swindle ainsi qu'une version folklore finlandais par le Trio Fratres.

Pour finir cette playlist, nous avons sélectionné deux artistes ayant fait des albums complets de reprises de Kraftwerk. Le premier, Señor Cononut, projet latino de l'allemand Uwe Schmidt exilé au Chili, a sorti en 1999 l'album El Baile Aleman dans lequel il reprend 9 chansons de Kraftwerk en cha-cha-cha, merengue, cumbia, ... Le second est un quatuor à cordes anglais lorgnant vers la musique contemporaine, le Balanescu Quartet fondé par le roumain Alexander Balanescu (ayant fait ses classes dans le quatuor Arditti ou les ensembles de Michael Nyman et Gavin Bryars). Ce quatuor a sorti en 1992 un remarquable album de reprises de Kraftwerk : Possessed.

Et si vous voulez encore plus de The Model, voici deux versions que l'on ne trouve pas sur Youtube, une par le duo electro pop malaisien Byaduoorgroup et une seconde par le sauvage groupe garage anglais Stratosonics :



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