lundi 16 décembre 2019

Everybody loves reggae : Reggatta de blanc, le reggae hors Jamaïque de Vincent Jégu

Dans le monde sinistré de l'édition de livres sur la musique, deux compagnies tirent leur épingle du jeu : Camion Blanc qui sort de gros pavés assez chers et pas très sexy mais ultra instructifs, et Le Mot Et Le Reste qui publie régulièrement des biographies et des livres assez intéressants construits sous forme de classements (Africa 100, Rap, Hip-Hop 30 années en 150 albums, Prog 100, Stoner, Techno 100, Rap Français, une exploration en 100 albums, Africa 100, Reggae 100, Electro 100, ...). Publié en 2018 chez ce dernier, Reggatta De Blanc, le reggae hors Jamaïque est le premier livre de Vincent Jégu, un auteur né en 1967 (dit comme ça cela fait un peu people mais c'est une information importante pour la suite, vous allez comprendre). Comme l'indique son titre, emprunté à l'incontournable deuxième album de The Police, ce livre traite de l'influence qu'a pu avoir le reggae au-delà de son île natale, la Jamaïque, sous la forme de 100 morceaux de reggae non jamaïcains (et pas forcément par des artistes purement reggae non plus).

Après une brève introduction retraçant de façon claire et concise l'histoire de la musique jamaïcaine, du ska au dancehall en passant par le rocksteady, le dub, le reggae roots ou les deejays, l'auteur évoque les différents métissages que ces musiques ont pu connaître au fil du temps : le skinhead reggae de 1969, les croisements punk et reggae de l'Angleterre circa 1977-1979, le ska 2 Tone, la pop et la new wave teintées de reggae, les titres reggae par des artistes afro-américains, le trip hop, les musiques électroniques, le hip hop, ... puis rentre dans le vif du sujet avec une liste de 100 morceaux. En se limitant aux titres sortis en singles entre 1968 (année de naissance du reggae ainsi que de la sortie du Ob-La-Di, Ob-La-Da des Beatles) et 2003 (No One's There (Dub) de la chanteuse Anika produite par Geoff Barrow de Portishead), on retrouve ici l'histoire des artistes évoqués, leur façon de s'approprier le reggae ainsi que de nombreuses autres pistes à explorer, permettant ainsi de contourner la limite des 100 chansons sorties en single (même si l'auteur a triché par endroits en prenant la face B, mais chut !).

Comme on est en 2019 et qu'un name dropping est bien moins efficace qu'une playlist Youtube, la rédaction de Ouais ? vous liste ci dessous les 100 titres dont ce livre parle :


Le livre évoque donc des morceaux reggae venant du rock et de la pop (Beatles, Eric Clapton, Led Zeppelin, Robert Palmer, David Bowie), du folk (Paul Simon, Bob Dylan), du punk (The Clash, The Ruts, Angelic Upstarts), du ska (The Specials, The Selecter, Madness, Ska-P), de la new wave et du post-punk (The Police, Killing Joke, The Stranglers, Public Image Ltd, The Fall, Pere Ubu, Grace Jones), de la musique industrielle (Cabaret Voltaire), de la chanson (Serge Gainsbourg, Bernard Lavilliers), du dub (New Age Steppers, Gary Clail, High Tone), du punk californien (Rancid, Sublime), du rock indé (Primal Scream, Morrissey, Lily Allen, The Kills, Peter Doherty), des musiques électroniques (Massive Attack, Leftfield, Thievery Corporation, Death In Vegas, Burial) ou du reggae pur (Steel Pulse, Groundation) ou pas (UB40, Major Lazer). Comme d'habitude avec ce genre de listes, on peut discuter de la présence ou non de telle ou telle chanson et/ou artiste, mais on apprend quand même plein de choses dans ce livre : par exemple, saviez-vous qu'avant de connaître le succès avec des tubes pop/new wave comme Shout ou Sowing in the Seeds of Love, les membres de Tears For Fears faisaient partie d'un groupe dénommé Graduate auteur d'un morceau de ska s'attaquant à Elvis Costello ? Qu'Ozzy Osbourne, chanteur du mythique groupe metal Black Sabbath revisitait sur scène son Children of the grave version reggae ? [Bon, là l'auteur se serait peut-être planté, car la seule vidéo Youtube reggae d'Ozzy Osbourne est en fait un remix/mashup/bootleg artisanal]. Que Paul & Linda McCartney ont sorti un 45 tours reggae sous le pseudo de Suzy And The Red Stripes ? Que le post-punk tant apprécié par les hipsters détestant le reggae ne sonnerait pas pareil sans l'influence du dub, avec ces basses au premier plan et ses effets de reverb' sortant de nulle part ? Que le britannique Morrissey se vantait de dénigrer le reggae mais reprenait sur scène un titre chaloupé de Patti Smith sur un sous-label de Trojan ? Que My Generation des Who a été repris en ska ? Que le groupe electro-rock Primal Scream a collaboré avec le génie jamaïcain du mélodica Augustus Pablo ? On fera l'impasse sur certaines petites erreurs (Revolution Rock et Wrong'em Boyo des Clash ne sont pas des compos du groupe punk mais des reprises de Danny Ray et The Rulers respectivement, Lee Perry et Mad Professor sont bien deux personnes différentes, ...), néanmoins on pourra s'interroger de la sur-représentation du ska des 80's dans ce classement (surement dû à la génération de l'auteur), ainsi que l'absence quasi totale d'artistes français : quid du rock alternatif et du punk français ? On se doutait bien ne pas y trouver le groupe de hardcore Unlogistic ou l'anarcho-punk dub Broken, mais aucune mention de La Souris Déglinguée, La Mano Negra ou Ludwig Von 88 ? Et le ska rock français de la fin des années 90 qui a aidé à la renommée des SMAC de notre territoire en faisant salles combles avec les concerts de La Ruda Salska, des Caméléons et autres Spook & The Guay ?  A ce titre, nous proposerons bientôt un article évoquant certains titres que la rédaction de Ouais ? aurait bien aimé voir figurer dans ce livre. Sinon, pour vous montrer la richesse du contenu de cet ouvrage, on vous a également concocté une playlist des morceaux non jamaïcains évoqués dedans :



Bref, ce livre, outre le fait qu'il soit assez bien écrit, très clair et non élististe, est plutôt agréable à lire, avec un contenu plus qu'intéressant. Reggatta de Blanc est donc à conseiller aux aficionados de reggae bien sûr, ainsi qu'à ceux qui s'intéressent à l'histoire de la musique en général, mais il pourrait également convaincre ceux qui disent ne pas aimer cette musique en se rendant compte que son influence est bien plus vaste et importante que les clichés véhiculés de ci de là (par certains médias méprisants, snobinards ou tout simplement ignorants).
 

Reggatta De Blanc, le reggae hors Jamaïque / Vincent Jégu. - Le Mot Et Le Reste, 2018. 230 p. 

Et si le sujet vous intéresse, voici quelques pistes supplémentaires à explorer :
- cette liste Discogs assemblée par l'utilisateur TwinPowerForce regroupant des chansons reggae et dub par des artistes non reggae, dans des styles très très variés (on peut se demander si Vincent Jégu n'y a pas trouvé quelques références au passage)
- l'ouvrage Le Reggae en Angleterre 1967-1997 d'Eric Doumerc, paru en 2016 chez Camion Blanc
- le livre Les pionniers du reggae en France de Joseph Musso, paru en 2010 chez Editions Laboutiquedesartistes
- le livre L'esthétique new wave de Guillaume Gilles (devenu depuis programmateur du festival La Ferme Electrique à Tournan-En-Brie), paru en 2006 chez Camion Blanc, évoque les liens entre new wave/post-punk et musiques jamaïcaines (reggae, dub, ska)
- les discographies réalisées par les médiathèques de Rueil-Malmaison ou de Claye-Souilly évoquent l'influence du reggae et peuvent être lues en ligne sur Calaméo
- l'ancienne émission reggae Stand Firm! de Radio Canut (Lyon) a consacré plusieurs shows au punky reggae, écoutables en podcast
- le blog Skank Blog Bologna retrace l'histoire de nombreux artistes à la jonction du punk et du reggae (c'est d'ailleurs à eux que l'on doit l'excellente compilation Spiky Dread Issue One: punky reggae & post punk 1978-1984)
- le blog du fanzine punk Kill Your Pet Puppy s'intéresse également au reggae-punk et aux débuts du dub anglais (On-U Sound, Mad Professor, ...)
- le site punk77 s'intéresse, comme son nom l'indique, à l'histoire du punk anglais 77, avec notamment un dossier en plusieurs parties sur ces liens avec le reggae
- l'excellent fanzine Chéribibi, qui parle de culture populaire au sens large (musique, cinéma, BD, littérature, luttes sociales, ...) a consacré un dossier aux connexions entre punk et reggae dans son tout premier numéro.
- le magazine français Reggae Vibes a publié dans son numéro 61 (Août/Septembre 2018) un très bon dossier sur les liens entre la variété française et le reggae

Bonus : l'auteur donne des conférences sur le thème de son livre, notamment sur ce podcast enregistré à Nantes (en février 2019 ?) :

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