lundi 3 décembre 2018

Grandes Orgues


Titulaire de l’orgue de chœur de Notre-Dame de Paris, Johann Vexo a enregistré ce disque en 2010 sur le Grand-Orgue de la cathédrale. Un instrument doté de cinq claviers, cent-dix registres, idéal pour interpréter le répertoire de musique d'orgue dite "symphonique", allant de César Franck à Marcel Dupré. À sa console se sont illustrés les plus prestigieux organistes français. On retiendra Louis Vierne (1870-1937), qui a laissé entre autres six symphonies pour orgue, Pierre Cochereau (1924-1984), génial improvisateur (prompt sur la fin de sa carrière à utiliser les jeux de chamades à tout va), Olivier Latry (né en 1962), professeur d’orgue au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et doté d’une technique jamais acquise auparavant.
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Johann Vexo joue Liszt, Franck, Vierne, Duruflé, Escaich



Le disque débute par la Fantaisie et Fugue sur « Ad nos ad salutarem undam ». Une œuvre monumentale de Franz Liszt, inspirée d’un choral de Meyerbeer présent dans l’opéra Le prophète. On connaît le Liszt des rhapsodies hongroises, à la virtuosité éclatante, sans limite. On connaît moins l’Abbé Liszt, entré dans les ordres à la fin de sa vie. « Ad nos » montre que Liszt sait aussi composer pour orgue, on retrouve bien sûr des passages techniquement très exigeants, mais cette virtuosité n’est ici jamais gratuite. Disons-le de suite, la version enregistrée par Johann Vexo est l’une des meilleures que l’on n’ait jamais écouté chez Ouais ?, parce qu’elle démontre une parfaite compréhension de l’œuvre et un travail titanesque sur la registration. Le crescendo du début de la fantaisie, l’entrée progressive des jeux d’anches, l’utilisation à bon escient de la voix céleste (jeu légèrement désaccordé qui associé au jeu de gambe produit un son faisant référence à des ondulations, une sorte de vibrato), les chamades (jeux de anches dont les tuyaux sont situés à l'horizontale) utilisées lors des passages « fanfare », les jeux de mutation dans les passages plus pianistiques, tout est maîtrisé. Et puis, cette longue finale où résonne l’écho de du dernier accord dans la cathédrale vient parachever l’écoute de trente minutes.



On notera sur ce disque la présence de la Prière de César Franck (1822-1890), tirée des Six Pièces pour orgue. Une pièce mettant en valeur les jeux de fonds de l’orgue et un compositeur qui a influencé toute l’école d’orgue française jusqu’à aujourd’hui. Titulaire du Grand-Orgue de la Madeleine, César Franck est indissociable du facteur d’orgue Aristide Cavaillé-Coll, qui a doté les églises françaises (et pas seulement) d’instruments aux jeux de fonds nombreux, limitant les plein-jeux (jeux composés de plusieurs tuyaux à la sonorité brillante) et les cornets (jeux composé de cinq tuyaux) au profit des anches. Les plus beaux exemples sont certainement l’orgue de la Basilique Saint-Sernin à Toulouse, Saint-Ouen à Rouen et bien sûr celui de Notre-Dame de Paris (même s’il a subi des transformations). Les compositions de ces orgues ont ouvert la voie à la musique d’orgue symphonique. Allez écouter les symphonies de Widor, de Vierne et vous comprendrez cette façon de faire sonner l’orgue comme un orchestre, avec ses tutti énormes et ses jeux solistes, faisant référence aux hautbois, clarinettes ou flûtes.

Deux pièces de Louis Vierne présentes sur ce disque, datant des années 1920 et issues des Pièces de Fantaisie. Feux follets, avec ses jeux de mutation (jeux aigus) et son côté apprenti sorcier, nous montre le visage d’un Vierne grinçant. Un esprit que l’on retrouvera dans les scherzi (mouvements centraux de ses symphonies), notamment dans la 3ème , 5ème  et le superbe scherzo de la 6ème. La Toccata est une pièce brève, virtuose, typique de l’école symphonique (Gigout, Boëllmann, Widor, par exemple). La bombarde de trente-deux pieds, jeu du pédalier, semble particulièrement écrasante quand elle rentre.


On enchaîne ensuite sur le Scherzo de Maurice Duruflé, une pièce de jeunesse, composée en 1926. On y retrouve ce qui fera la particularité de Duruflé, à savoir un raffinement harmonique proche de Gabriel Fauré, allié à la virtuosité qu’on retrouvera dans la Toccata ou encore Prélude, Adagio et Choral varié sur le Veni Creator.



Les Trois Poèmes de Thierry Escaich, compositeur et organiste français contemporain, en activité à Saint-Etienne du Mont (l’orgue où officiait Duruflé), viennent clore l’écoute. On relèvera la magnifique interprétation d’Eaux Natales.



Un disque référence si vous souhaitez entendre toutes les possibilités qu’offre l'Orgue de Notre-Dame de Paris, que vous pouvez entendre gratuitement tous les samedis soirs à 20h lors des auditions d'orgue.


Johann Vexo joue Liszt, Franck, Vierne, Duruflé, Escaich aux Grandes Orgues de Notre-Dame de Paris. - JAV Recordings. 2010.

lundi 12 novembre 2018

Dans la famille reggae, je demande le prince : Dennis Brown, les mots de la sagesse

Words of Wisdom / Dennis Brown

Bob Marley étant sacré "roi du reggae" par de nombreuses personnes (et "arbre qui cache la forêt" par d'autres), Dennis Brown fût quant à lui surnommé "the crown prince of reggae" (le prince couronné du reggae) et demeure encore un des plus grands chanteurs issus de Jamaïque.

Sortant son premier disque en 1970 à l'âge de 13 ans sur le mythique label Studio One et finissant tristement sa carrière en 1999 suivant son décès (même si de curieux featurings apparaissent régulièrement post mortem), Dennis Brown aura laissé une discographie très imposante et ultra variée. Si certains vénèrent sa période où il enregistre pour le producteur Niney The Observer des pépites reggae roots au son flangerisé (le genre de son qui pourrait plaire aux personnes qui "n'aiment pas le reggae sauf Lee Scratch Perry") tandis que d'autres vouent un culte à sa période early dancehall des 80's aux côtés de Sly & Robbie (qui amènera des tueries telles que Revolution ou Sitting and Watching qui feront le bonheur de nombreux artistes ragga), sa période fin 70's mérite amplement la redécouverte, entre des albums autoproduits qui marqueront les esprits (notamment grâce aux excellentes rééditions réalisées par le défunt label Blood And Fire) et surtout son travail aux côtés du producteur Joe Gibbs.



Pourtant, parmi la pléthore d'enregistrements effectués pour Joe Gibbs, si c'est généralement l'album Visions of Dennis Brown, sorti en 1977 ou son successeur Wolf & Leopards (comportant également des chansons pour d'autres producteurs) qui sont nommés dans les différentes listes de référence, il y a bien un album injustement mal-aimé, ou tout du moins méconnu : Words of Wisdom sorti en 1979, comportant pourtant le plus grand tube de Dennis Brown, l'immense Money In My Pocket (une réactualisation rockers style d'une chanson qu'il avait enregistré en 1972 avec Niney).


Words of Wisdom est un album comportant une grande majorité de chansons écrites par Dennis Brown (au contraire des précédent truffés de reprises) et alterne morceaux roots engagés et chansons d'amour d'inspiration soul, le tout porté par une voix de velours comme on n'en fait plus (surtout à l'heure de l'autotune).

Ainsi, l'album commence doucement par le beau titre rasta So Jah Say, suivi du plus classique Don't feel no way (dans une veine typique du reggae 70's à la Bob Marley) avant que n'arrive la première perle du disque, le magnifique Words Of Wisdom qui donne son titre à l'album. La fin de la face A contient rien de moins que 3 tubes (sur 3 morceaux) : le sublime et envoutant Should I, le flûté A True et le phénoménal Ain't That Loving You (à la base un classique de la Stax dont s'emparera avec brio le maître Alton Ellis en 1967).


La face B commence avec le titre lover Cassandra, un titre que le prince avait précédemment enregistré avec Niney, suivi de 3 titres roots dont l'émouvant roots Love Jah. A l'instar de la face A, la face B s'achève sur 2 superbes morceaux, sans aucun doute LES tubes du disque, Drifter, une reprise de Dennis Walks, certainement l'un des plus mémorables riddims de l'histoire de la musique jamaïcaine, et le précédemment évoqué Money In My Pocket.

Donc pourquoi, et ce malgré une sortie internationale (en France sur  la major Atlantic, ce qui fait qu'on peut le trouver de temps en temps en brocante, tout du moins on le trouvait avant que le vinyle ne revienne à la mode, avec des rapaces achetant tout et n'importe quoi pour faire des plus-values) cet album est-il méconnu ? La faute à des rééditions CD au son catastrophique ? A la présence de nombre de ses chansons sur les innombrables compilations consacrées à Dennis Brown ? Le mystère reste entier...

Words of Wisdom / Dennis Brown. - Initialement sorti en 1979 sur Joe Gibbs Records, Atlantic, WEA ou Laser (selon le pays), réédité en CD et vinyle par de nombreux labels (Blue Moon, Shanachie, Disc'Az...). Fait également partie du superbe coffret 4 CD Dennis Brown At Joe Gibbs sorti en 2011 sur VP/17 North Parade.

dimanche 28 octobre 2018

Merci pour tout Philippe Gildas



Ouais ? voulait rendre hommage à Philippe Gildas (1935-2018), grand monsieur de la télé, présentateur de la mythique émission TV Nulle Part Ailleurs qui a permis à une partie de l'équipe du blog de découvrir plein de bonnes choses durant son adolescence, que ce soit en littérature, humoristes, idées socio-politiques, cinéma ou bien évidemment musique avec les mythiques NPA Live dont voici une belle playlist :

vendredi 19 octobre 2018

Y'a plus de saison !

L’équipe de Ouais ? avait ressorti les parkas et les bonnets mais force est de constater que l’été dure. Et donc on a en tête ce slow de Joe Dassin, sorti en 1975. La carrière de Joe est alors au point mort. Lors d’une sauterie en Italie, il tombe sur le scopitone de la chanson Africa de Toto Cutugno. Il suffit d’un arrangement de cordes bien sucré, d'une trompette lancinante sur la fin et d'une voix travaillée au cigarillo pour que Joe atteigne la 11ème place des meilleures ventes en Turquie. De quoi filer des sueurs froides en allant chercher votre prochain complet mayonnaise ketchup aux Délices d’Istanbul.



Pour les puristes, ce titre a été repris plusieurs fois, notamment cette excellente version : 



Pour les encore plus puristes, la chanson aurait inspiré le nom d’un mythique groupe de punk hardcore DIY américain, Indian Summer, formation pionnière de l’emo des 90’s.

vendredi 12 octobre 2018

Conseil TV du dimanche : de la neige et des rastas

Ce dimanche 14 octobre, 6ter rediffuse un nanar classique des années 90 : Rasta Rockett (Cool runnings en VO), l’histoire improbable mais pourtant vraie de l’équipe de bobsleigh jamaïcaine, un pays qui ne voit pas beaucoup la neige mais qui participe quand même aux Jeux Olympiques d’hiver.


Outre le film gentillet made in Disney, ce qui a marqué les esprits à l’époque, c’est sa BO, comprenant notamment la star du ragga de l’époque Super Cat, la grande Diana King, les vétérans Wailing Souls et surtout Jimmy Cliff, avec l’un des tubes de l’été 94 : I can see clearly now .



Le saviez-vous ? Cette chanson est en fait une reprise de Johnny Nash, chanteur soul américain qui fût également un temps producteur de Bob Marley (pas sa meilleure période, on est d’accord) qui lui offrit une poignée de chansons (mais pas I can see clearly now). 


Sorti en 1972, I can see clearly now fût également chanté en 1977 par… Claude François, sous le titre Toi et le soleil (on notera au passage la qualité du traducteur). 


Concernant Jimmy Cliff, Rasta Rockett est loin d'être la première incursion de la star du reggae disco dans le cinéma. En effet, comment ne pas citer l'excellent film jamaïcain The Harder They Come (Tout, tout de suite en français) dans lequel il joue le rôle d'un petit malfrat de rude boy dans le Kingston musical des années 70 et pour lequel il a composé une superbe musique (bien éloignée des Reggae Night et autres Hakuna Matata qu'il fera par la suite).


Et surtout n'oublions pas le chef d'oeuvre de l'année 1990, le bien nommé Désigné pour mourir (Marked for death) dans lequel le grand Steven Seagal dézingue du dealer rasta/vaudou jamaïcain qui sème la pagaille dans son village d'enfance (le méchant jamaïcain semblait avoir remplacé le communiste soviétique dans les films d'action de cette période transitionnelle de l'Histoire du monde puisque dans Predator 2, Danny Glover affronte également des dealers rasta). Dans ce film, on peut apercevoir Seagal aller voir Jimmy Cliff en concert.




jeudi 11 octobre 2018

Rentrée Littéraire Round 2. Evasion, Benjamin Whitmer



Hiver 1968, dans le Colorado, douze prisonniers s’échappent du pénitencier de la petite ville d’Old Lonesome. Ils vont être abattus un à un, pourchassé par Jugg, le directeur intraitable de cette prison, bien décidé à faire un exemple.

Benjamin Whitmer, auteur de Pike et Cry Father, nous propose un scénario éculé au possible, où l’on se demande comment l’auteur va nous tenir en haleine pendant les 400 pages.

Et pourtant... On a eu tort. D’une, parce qu’on est chez Gallmeister, et que la maison d’édition spécialisée dans les grands espaces américains ne se trompe jamais dans ses choix éditoriaux. On retrouve dans Evasion la nature. Le blizzard tient une place importante dans le roman, où nos évadés vont se démener. Il y a bien sûr le décor : la montagne, les mobile-home crasseux où vivent les protagonistes du roman.

De deux, parce que c’est Benjamin Whitmer. Parce que cet auteur parvient à camper des personnages forts, que ce soit les journalistes qui couvrent l’évasion, le jeune Jim qui traque les évadés. Tous ont leur vie, difficile, chaotique. Et puis il y a la langue, magnifiquement traduite par Jacques Mailhos. Whitmer se situe à sa manière à la suite d’un Jim Thompson. Une langue crue, violente, mais qui ne s’interdit pas de transcrire la psychologie des personnages.

Evasion est une chasse à l’homme, un roman noir puissant, on n’en attendait pas moins de Benjamin Whitmer et des Editions Gallmeister. C’est un régal de lecture si vous éprouvez un penchant pour la littérature évoquant l’Amérique profonde.

Si ça vous a plu, on vous recommande Pete Dexter, Smith Henderson, Nic Pizzolatto, Larry Brown. Du Texas au Montana, des écrivains qui prouvent qu’on peut (bien) écrire sans avoir fait Normale Sup.

Si vous êtes vraiment mordu : un film à voir en sirotant une Coors.



Evasion / Benjamin Whitmer. - Gallmeister. 2018. Traduction de Jacques Mailhos. 448 p.

jeudi 20 septembre 2018

Rentrée Littéraire. Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu

Leurs enfants après eux / Nicolas Mathieu


Les années 90, quatre étés qui verront grandir des ados, avec les premiers émois, les premières soirées arrosées, et surtout l’ennui, ces journées qui n’en finissent pas. Nicolas Mathieu situe son roman dans l’est de la France, une région sinistrée après la fermeture des hauts fourneaux. Hacine, Anthony, Stéphanie : qu’ils soient issus de l’immigration, des petits blancs déclassés ou fils de notables locaux, tous aspirent à quitter le coin, à faire leur vie loin de cette vallée. 

Leurs enfants après eux est donc un roman sur l'adolescence, ses turpitudes, ses angoisses, ses corps mal apprivoisés. Ce que l'auteur relate avec brio. Mais c'est aussi un roman social, où flotte l'ombre de Bourdieu. C'est aussi un roman noir, convoquant l'alcoolisme, la drogue et les flingues.

C'est surtout le roman d'une époque. Débutant à l'été 92, Leurs enfants après eux invoque Smells like teen spirit, de Nirvana pour s'achever le 8 juillet 1998, date à laquelle l'Equipe de France de football, malmenée en demi-finale de la Coupe du Monde par la Croatie de Davor Suker, parvient à renverser la vapeur grâce à un doublé de Lilian Thuram. C'est aussi le début des Open-Space, des nouvelles techniques de management, où l'on demande à des ouvriers de s'accomplir au travail.

Et puis, il y a la plume de Nicolas Mathieu, elle est ciselée, nette et précise. Travaillée mais jamais besogneuse. Avec la volonté que chaque mot percute. L'auteur donne la parole aux ados, dans leur langue :

"— Ce chacal, il nous baisait à tour de rôle. 
— Le même jour, des fois. 
— T’es sérieuse ?

— Je te promets. 

— Le salaud. 

— L’ordure. 

— Mais quel gros chien ! 

— Un malade en fait. 
— Gros pervers, ouais. 
— Trop."


Leurs enfants après eux vient confirmer l'impression qu'on avait eu en lisant Aux animaux la Guerre, premier roman de l'auteur. Nicolas Mathieu fait partie des grands de la littérature française, et pas seulement du genre Noir. 

La France périphérique, les rangées de pavillons achetés à crédit sur vingt-cinq ans, l'alcoolisme, le chômage, l'ennui et l'adolescence, autant de thèmes abordés par l'auteur et que l'on retrouve dans la description de la Nièvre dans l'excellent Rural Noir de Benoît Minville ou L'été circulaire de Marion Brunet (allez-y c'est excellent aussi). David Lopez, Prix du Livre Inter 2018, développe les mêmes thèmes dans Fief (là aussi, vous pouvez y aller).




Leurs enfants après eux est un ample roman, avec 425 pages et pas un mot de trop. On pourrait utiliser tous les poncifs éculés pour dire tout le bien qu'on en pense. On terminera simplement en disant qu'il faut lire Nicolas Mathieu.

Pour accompagner la lecture, on vous recommande l'écoute du rappeur vendéen MC Circulaire. Le tout arrosé d'un Picon-bière.


Leurs enfants après eux / Nicolas Mathieu. - Actes Sud. 2018. 425 p.

mardi 31 juillet 2018

Le déserteur. Hével, Patrick Pécherot



2018. Assis en face d’un écrivain, Augustin, dit Gus, relate cet hiver 1958, dans le Jura. Avec André, ils effectuent des livraisons à droite à gauche à l’aide d’un camion d’une autre époque, les essieux morts et le danger qui vous guette à chaque virage. Gus raconte les mains autour de la tasse de café arrosé le matin, le pot-au-feu du midi, les gauloises qu’on allume pour se réchauffer ou lutter contre la fatigue. Les deux font la paire et mènent une vie de labeur, celle des derniers forçats de la route, qui nous évoquent Le Salaire de la Peur de Clouzot. De temps en temps, ils débarquent chez Simone, la patronne d’un café-restaurant où André a ses habitudes avec la tenancière.  


Un soir, Gus tue un homme, un Algérien travaillant dans une usine du côté de Dôle. Il le tue sur un moment d’égarement, sans réfléchir, à cause de ce putain d’amour-propre qui lui dicte de se venger d’un mauvais coup reçu. Pour Gus, rien ne sera plus comme avant.

Et puis ils font la connaissance de Pierre, un gamin ayant fui la Guerre d’Algérie, marqué au fer rouge par ce qu’il a vu et fait, un déserteur comme le chantait Boris Vian.



La Guerre d’Algérie est au cœur de ce roman noir qui va se terminer en course poursuite dans les montagnes du Jura, où Gus, André, Pierre et un membre du FLN vont chercher refuge en Suisse, poursuivis par les hélicoptères Sikorsky de la Gendarmerie.

Patrick Pécherot traduit parfaitement les années 50 en France, la Guerre d’Algérie vue de la Métropole. Roman noir impeccable mais aussi ouvrage d’Histoire, Hével est un livre court, empruntant la langue de l’époque, riche d’argot. L’occasion pour l’auteur de parler du monde d’aujourd’hui, fait d’immédiateté et de sensationnel.

On notera quelques similitudes, dans la langue et l’atmosphère, avec l’excellent roman Après la Guerre d’Hervé Le Corre, beaucoup plus ample, que Ouais ? vous recommande chaudement. Ces deux livres reconstituent la France d’une époque révolue, celle des années 50, quand la Guerre d’Algérie survînt alors qu’on avait encore en tête les affres de la Seconde Guerre Mondiale.

À lire avec un guignolet.




Hével / Patrick Pécherot. – Gallimard, Série Noire. 2018. 224 p.

mardi 17 juillet 2018

La fin justifie-t-elle les moyens ? Age of Ultron

Age of Ultron / Brian M. Bendis

En 2015, le deuxième volet des aventures des Avengers au cinéma, L'ère d'Ultron, pulvérise le box-office. Onzième film de l'univers ciné Marvel mettant en scène les plus grands héros en collant des comics, le film, dans sa VO, porte le nom d'un arc de la BD, Age of Ultron, mais comme la plupart des films Marvel/Disney, le lien avec la BD s'arrête là.

Publié initialement en 2013, Age of Ultron est un crossover réunissant plusieurs héros Marvel dans un futur post apocalyptique. En effet, dans ce futur, le très méchant robot Ultron, à la base conçu pour protéger les humains mais qui, après réflexion, se retourna contre l'humanité car la jugeant comme plus grande menace contre elle-même (saloperie d'IA), a pris le pouvoir sur Terre après avoir ravagé une bonne partie du monde (ou tout du moins des Etats-Unis) et supprimé pas mal de super-héros.

Devant ce désastre, les survivants super-héroïques se cachent et cherchent à faire leur job, sauver le monde. Jusque là, l'histoire est assez banale, sauf que là on n'est pas chez DC avec des super-héros invincibles et arrogants mais chez Marvel, avec des personnages plus nuancés, ayant des états d'âme. Ainsi, si le bon gars Captain America ne sait pas trop quoi faire, son ex-allié-puis-ennemi-puis-de-nouveau-allié-en-attendant-le-prochain-reboot-Marvel, Iron Man décide d'aller dans le futur attaquer le robot qui coordonne ses attaques de là bas (dans le futur du futur si vous avez bien suivi). Pendant ce temps, le bourrin Serval (Wolverine pour les plus jeunes qui ont découvert les super-héros au cinéma), se dit que quitte à voyager dans le temps, autant aller dans le passé assassiner celui qui a créé l'iPhone Ultron, Hank Pym (alias l'homme fourmi qui tabasse sa femme) avant qu'il ne fabrique ce satané robot qui causera la perte de l'humanité. Ainsi, même si la majorité de ses collègues désapprouve ce projet, notre mutant griffu retourne en douce vers le passé effectuer sa tâche ingrate sans se soucier des conséquences spatio-temporelles qui se révéleront encore plus désastreuses (et ainsi on retrouve des personnages qui se demandent si l'histoire vaut la peine d'être modifiée ou altérée, et surtout à quel prix).


Même si l'histoire semble bâclée par moments, le scénariste ayant été pris de cours après avoir pris son temps (multipliant également les illustrateurs), cette saga, sans être le chef d'oeuvre du siècle, se lit OKLM et donne une bonne vision sombre et nuancée des super-héros Marvel.

Age of Ultron / Brian M. Bendis, Bryan Hitch, Carlos Pacheco, Brandon Peterson... - Panini / Marvel Events. 320 p.

mardi 26 juin 2018

Born on the Bayou. Prisonniers du ciel, James Lee Burke

Prisonniers du ciel / James Lee Burke

Paru en 1991, chez Rivages/Noir, Prisonniers du Ciel met en scène Dave Robicheaux, ancien alcoolique, ancien flic, hanté par les souvenirs du Viêt Nam et du Jim Beam. Pour les cinéphiles, Bertrand Tavernier avait superbement adapté pour le grand écran James Lee Burke avec Dans la brume électrique en 2009. Tommy Lee Jones y incarnait à merveille Dave Robicheaux.

On lit un James Lee Burke pour l'histoire policière, mais surtout pour l'atmosphère, l'ambiance. Quelques lignes suffisent et on est dans le Bayou, pas très loin de la Nouvelle-Orléans, dans la véranda d'une maison en bois au bord de l'eau, sirotant un Dr Pepper ou dégustant des crevettes grillées.

Prisonniers du ciel est le deuxième roman de James Lee Burke faisant intervenir Dave Robicheaux, qui mène désormais sa petite entreprise au bord du bayou, loue des bateaux, prépare des vifs pour la pêche, ouvre des bières et des sodas pour les clients. Il vit avec Annie, une fille du Kansas.

Quand un avion bimoteur vient à s'écraser dans le bayou, devant sa propriété, il se met à l'eau et y recueille une jeune fille, seule rescapé des cinq passagers. Il ignore alors qu'il vient de mettre la main dans le beau nid à emmerdes qu'est le trafic de drogue. Il recueille la jeune fille, la baptise du nom d'Alafair, et reprend son affaire, jusqu'à ce qu'il remarque une voiture rôder près de sa propriété... 

James Lee Burke parvient à camper des personnages forts, dans une langue incroyablement simple, où les bons mots ne sont jamais gratuits. C'est finalement toute une partie de l'Amérique que décrit Burke. La Louisiane, les Cajuns, les Noirs, la pègre, les Texans venus exploiter le pétrole, les maisons de style colonial, la moiteur, les nuits d'orage. 

Si vous aimez James Lee Burke, on vous conseille Tim Gautreaux et son excellent Fais-moi danser Beau Gosse, un roman sur le bayou, la fierté et la simplicité des gens qui y vivent, sur la fin d'un monde aussi. 

Pour la bande-son, on ne saurait que vous recommander Clifton Chenier. Ou encore l'album Bayou Country de Creedence Clearwater Revival.



Prisonniers du Ciel / James Lee Burke. - Rivages / Noir. 1991. Traduction de Freddy Michalski. 354 p.


jeudi 21 juin 2018

Les choses de la vie. Les hommes, Richard Morgiève

Les hommes / Richard Morgiève.

Paris, années 70. L'élection de Giscard, la fin de la DS, les gitanes au coin de la bouche. C'est ce que nous raconte, nostalgique, Richard Morgiève dans Les hommes.

Paris, années 70 donc. Mietek Breslauer vient de sortir de cabane. La routine reprend, les femmes de petite vertu qu'on entretient, les menus larcins, les tuyaux que l'on prend au troquet du coin, la piaule à Montreuil. Mietek ne sait faire que ça. Ancien alcoolique, il tourne à l'eau claire mais carbure à deux paquets de Pall Mall par jour. Il côtoie les barbouzes, les types qui ont tourné leurs vestes en 44. Mietek est jeune, dans sa voiture, il écoute Classe tous risques de José Giovanni.

Et puis le temps passe. Mietek voit la vie qui fout le camp, les proches qui partent un peu trop tôt, trop vite. Il s'imagine en père de famille, entre deux femmes son cœur balance. Les choses de la vie...



Passé relativement inaperçu lors de la Rentrée Littéraire de Septembre 2017, Les hommes est un roman hommage à ceux qui portaient feutre et pardessus. Très cinématographique, il fait songer à Gabin, Delon, Ventura. C'est un roman touchant, noir, à l'écriture ciselée proche du hard-boiled US. On lit ça et les yeux deviennent un peu humides, le cœur bat un peu plus vite. Un livre rare.

Les hommes / Richard Morgiève. - Joëlle Losfeld. 2017. 369 p.
 

Heb Frueman, les rois du hardcore meldois



Années 90 : un petit groupe underground du nom de Nirvana prend tout le monde par surprise en devenant LE groupe de rock de la décennie. Au delà du succès du trio de Seattle, c'est tout un pan des musiques alternatives qui se voit propulser sous les feux des projecteurs, du rock indé à la Pixies/Pavement/Sebadoh au folk lo-fi de Daniel Johnston sans oublier la noise (Sonic Youth, Jesus Lizard, Butthole Surfers) ou le grunge (Melvins, Mudhoney). L'un des styles à avoir profité de cette lumière est le hardcore, version US du punk rock qui, s'il existe depuis le début des 80's, s'installe durablement dans les 90's et ce, sous plusieurs aspects : dans sa forme brute avec les groupes new-yorkais qui commencent à intégrer des influences metal (Madball, Sick of It All, Biohazard), son alter ego mélodique d’influence californienne (Bad Religion, Burning Heads), ses dérives bruitistes (Portobello Bones, Condense, Unsane) ou émotionnelles (Fugazi, Vanilla)...


Pourtant, dans un petit village gaulois du nom de Meaux, un groupe pratiquait un hardcore anachronique qui se foutait complètement des années 90 pour se concentrer sur le son des pionniers des années 80. Formé en 1996, Heb Frueman (en référence au film Ferris Bueller, le fameux industriel de la saucisse de Chicago), commence à faire parler de lui en proposant un hardcore old school sec et rapide lorgnant vers les Beastie Boys (quand ces derniers faisaient du punk hardcore), les méconnus Dead Fuckin' Last ou les incontournables Minor Threat (dont ils reprenaient le Screaming at a wall), pour des morceaux fun dépassant rarement la minute. 




En 2016, le label rennais Poch Records sort en vinyle A year and a half of high altitude velocity, une anthologie de ce groupe qui a marqué les esprits de ceux qui l'ont vu à l'époque sur scène. Ce LP rassemble quasiment tous les morceaux qu’ils ont enregistrés durant leur brève existence (1996-1998), sortis à l’époque sur une démo K7 (qui sera dispatchée sur plusieurs compilations), sur un vinyl 7’’ s’arrachant à prix d’or sur Discogs et sur un split CD avec les hollandais de NRA. Si on peut regretter l’absence de leur reprise poppy du Waiting Room de Fugazi ainsi que de quelques délires hip hop foutraques présents sur le split avec NRA, cette anthologie dresse enfin un historique de l’un des meilleurs groupes punk hardcore français. Si le groupe n’existe plus depuis près de 20 ans, il faut savoir que Tit, le batteur, joue maintenant dans Blazcooky et Danforth tandis que Mehdi, le chanteur, s’apprête à sortir un disque de musique électronique sous le nom de DVNO (après avoir monté Scenario Rock en compagnie du bassiste de Heb Frueman et du grand DJ Pone de Svinkels/Birdy Nam Nam).


mercredi 20 juin 2018

Afrique adieu. Le cœur des ténèbres, Joseph Conrad


Le cœur des ténèbres / Joseph Conrad.

Ecrit par Joseph Conrad, Le cœur des ténèbres est sorti en 1899, dans son édition originale. Et c’est un court roman qui ravira les amateurs de récits d’aventure.

Alors qu’il quitte Londres à bord d’un navire sur la Tamise, Charles Marlow, qui officie dans la marine marchande britannique, relate son voyage au cœur de l’Afrique Noire aux deux marins qui l’accompagnent.
Tout en bourrant sa pipe de tabac anglais, il se remémore son embauche par une compagnie belge, le trajet sur un vapeur au fil du fleuve qui le conduira au cœur des ténèbres, à la recherche de Kurtz. Kurtz collecte et transmet l’ivoire à la compagnie. Très vite, Marlow s’aperçoit que Kurtz s’est forgé une légende. Vénéré par les indigènes, une étrange aura l’entoure. Tout au long du voyage sur le fleuve à bord du rafiot pourri, Marlow s’imagine Kurtz, jusqu’à l’affabulation.

Le cœur des ténèbres est d’une véritable force évocatrice. Le lecteur, happé, ressentira la chaleur moite, les piqures de moustiques, les odeurs de viande d’hippopotame pourrie que se partagent les indigènes sur le bateau.

Il est à souligner que Conrad dénonce l’exploitation des indigènes, Noirs, par les européens. C’est rare pour l’époque.

Francis Ford Coppola s’inspire librement de ce récit dans Apocalypse Now (1979), en transférant l’action du film durant la guerre du Viêt Nam. Par son ambiance, le film reflète l’atmosphère du roman de Conrad.



Roman de marin, quête de soi, voyage vers des terres inhospitalières, Le cœur des ténèbres est à lire si vous avez aimé les classiques du roman d’aventures : Jules Verne, Herman Melville ou encore Robert Louis Stevenson.   

Le coeur des ténèbres / Joseph Conrad. - Le Livre de Poche. Traduction de Catherine Pappo-Musard. 214 p.

dimanche 17 juin 2018

Ouais ? La playlist



Une playlist à base de Ouais ? Bah ouais !

On commence cette liste de lecture par le titre Ouais des nantais de Justin(e), certainement l'un des meilleurs groupes de punk rock francophones des années 2000/2010 qui adapte en français le Yo! de Santa Cruz, certainement l'un des meilleurs groupes de punk hardcore nantais des années 2000/2010. On poursuit avec 2 vétérans du hip hop, IV My People, collectif fondé par Kool Shen du Suprême NTM suivi des anciens rivaux marseillais du groupe IAM (avec un extrait de l'album ...IAM de 2013). Petit détour vers la Belgique avec un morceau ska assez rare du plus grand imposteur du punk, Plastic Bertrand, avant de revenir au sérieux avec Oxmo Puccino puis le mythique groupe d'Ivry, 113, qui utilise le même sample du classique electro Planet Rock d'Afrika Bambaataa, le fameux Trans-Europe Express de Kraftwerk.

On reste ensuite dans le rap avec Booba, le rappeur qui plaît aussi bien aux anciens qu'aux plus jeunes, ce qui ne doit pas être le cas d'Alain Barrière dans ce Ouais de 1969. Quelques années plus tard, en 1994, le mythique Charly Oleg, l'organiste de la non moins mythique émission télé Tournez Manège ! (et accessoirement tête de turc des Ludwig Von 88) s'associe avec le provocateur Professeur Choron, cofondateur des journaux satiriques Charlie Hebdo et Hara-Kiri dont on retrouve des couv' dans la vidéo (au passage, petit cadeau avec cette vidéo du groupe punk Garçons Bouchers dans laquelle on peut voir le Professeur Choron ainsi qu'une jeune Béatrice Dalle et le défunt Christophe Salengro avant qu'il ne devienne le président de Groland).

On termine cette playlist avec du rap autotuné, histoire d'attirer les jeunes vers la culture avec un grand Q de ce blog.